Avicenna

Ibn Sina (Avicenne), Abu-Ali Al-Husain Ibn Abdullah ou Abou-Ali-al Hosain, Ibn Abdallah. – Philosophe et Médecin, né au mois d’août 980 (370 de l’hégire), dans la petite ville d’Afshéna, près de Bokhara; mort à Hamadan en juillet 1037. Son père, originaire de Balkh, était venu se fixer dans le village de Kharmaithan où il occupait un petit emploi auprès du prince samanide (Samani) Nouh ibn Mansoûr, mais il était ensuite allé vivre à Afshéna. Il appartenait à la secte des Ismaéliens et avait l’habitude de discuter chez lui avec ses coreligionnaires des questions philosophiques et religieuses. Le jeune Avicenne était donc à bonne école. A l’âge de dix ans, dit-il lui-même, il savait parfaitement le Coran et une bonne partie des sciences profanes. Il aborda seul l’étude des hautes sciences : mathématiques, physique, logique, théologie spéculative. Il s’appliqua ensuite à la médecine, sous la direction d’un médecin chrétien, Isa ibn Yahya. S’il faut l’en croire, à l’âge de seize ou dix-sept ans, il avait déjà une grande réputation comme médecin.

 

Le prince de Bokhara, Nouh ibn-Mansoûr, étant tombé dangereusement malade, le fit appeler et fut guéri par lui. Sa position auprès du prince lui obtint l’accès de ses riches collections de livres; Avicenne en profita pour composer deux ou trois traités de philosophie.  La mort de son père et la chute de la dynastie samanide le forcèrent bientôt de quitter ces trésors. A l’âge de vingt-deux ans, il fit ses adieux à Bokhara et se rendit à Djordjaniah, capitale du Khârezm, mais il n’y demeura pas longtemps. L’indigence le contraignit d’errer dans les villes avoisinantes du Khorasan et de la côte méridionale du Dahistan sur la mer Caspienne. A Djouadjân, petite ville dans le voisinage de Balkh, il s’attacha son disciple le plus en renom, Abou-Obaîd al-Djouzdjanî, et fit la connaissance d’Abou Mohammed Chirazi, puissant personnage qui lui donna une maison ou il ouvrit des cours publics.

 

Ce fut là qu’Avicenne commença son grand ouvrage sur la médecine, le célèbre Canon. De Djouzdjân, il fut appelé à Râi et à l’âge d’environ trente-quatre ans entra au service du Bouide Madjd-ad-Daula (Dawla). Pendant qu’il écrivait son Traité sur l’Âme, désigné parfois sous le nom de : le Retour, il fut mandé a Hamadan pour soigner le Bouide Chams-ad-Daula, frère de Madjd-ad-Daula qui souffrait d’une grave maladie gastrique. Avicenne réussir à le guérir, et Chams-ad-Daula lui témoigna sa gratitude en le nommant vizir.

 

Les affaires d’État n’empêchèrent pas le nouveau vizir de poursuivre ses études scientifiques. Pendant son séjour à Hamadan, Avicenne acheva la première partie de son Canon, commença son exposé de la philosophie d’Aristote dans son grand ouvrage Ach-Chafa, et donna des cours de médecine et de philosophie très suivis. A la mort de Chams-ad-Daula, son fils et successeur Tâdj-ad-Daula lui proposa de garder son poste de vizir; mais Avicenne refusa et préféra se retirer dans la maison d’un ami pour y poursuivre en paix la continuation du Chafa. Malheureusement sa retraite ne put le préserver des orages politiques. Soupçonné d’avoir entretenu des relations secrètes avec le gouverneur d’Ispahan Ala-ad-Daula Ibn Kakouyeh, qui était alors l’ennemi de Tâdj-ad-Daula, il fut emprisonné dans une forteresse, et y serait probablement resté très longtemps si les hasards de la guerre n’avaient mis Ala-ad-Daula en possession d’Hamadan. Le philosophe fut mis en liberté, mais, ne se sentant plus très en sûreté à Hamadan, qui avait été rendu à Tâdj-ad-Daula, il s’enfuit à Ispahan, déguisé en moine, accompagné de son disciple fidèle et de quelques esclaves.

 

Avicenne fut accueilli à bras ouverts, comblé d’honneurs et installé dans la demeure du cheik Abdallah-az-Zaidi. Il suivit son nouveau protecteur dans toutes ses expéditions. Les entreprises militaires d’Ala-ad-Daula ne furent pas toujours couronnées de succès; la ville d’Ispahan lui fut enlevée par le Ghaznévide Masoûd, fils et successeur de Mahmoûd. Ala-ad-Daula dut s’enfuir à Hamadan, et Avicenne l’accompagna dans sa fuite pour la dernière fois. Notre philosophe était, en effet, mortellement atteint par la maladie. Les excès de travail et, et dit-on aussi de débauche, auxquels il s’était livré avaient aggravé la maladie gastrique dont il souffrait. Voyant approcher sa fin, il montra un profond repentir, fit distribuer de nombreuses aumônes et se livra à des actes de dévotion. Il expira à Hamadan au mois de ramadan de l’an 428 (juillet 1037), à l’âge de cinquante-huit ans environ.

 

Avicenne (980-1037)

 

Sans emprunter les expressions hyperboliques d’Al-Djouzdjanî, nous pouvons dire qu’Avicenne fut un des génies les plus extraordinaires et des écrivains les plus féconds de son temps. Le nombre de ses ouvrages a été estimé à plus de soixante-dix, quelquefois même à plus de cent – on a même trouvé le chiffre de 250. Il est difficile d’en donner un catalogue complet. La bibliothèque bodléienne d’Oxford et celle de l’université de Leyde en possèdent une rare et précieuse collection. Outre son grand ouvrage sur la médecine, le célèbre Canon, Avicenne composa une vaste encyclopédie des sciences philosophiques Ach-Chafa dont un extrait : Al Nadja, a été imprimé comme appendice dans l’édition du Canon, fait à Rome en 1593. L’original arabe du Nadja renferme la Logique, la Physique et la Métaphysique, mais on n’y trouve pas les Sciences mathématiques qui, selon l’introduction, devaient prendre place entre la Physique et la Métaphysique.

 

Quel est le caractère de la philosophie d’Avicenne? D’après Munk, la philosophie d’Ibn Sina est essentiellement péripatéticienne, quoiqu’elle ait, comme celle des autres philosophes arabes, quelques éléments étrangers à la doctrine d’Aristote. Ibn Tofaïl fait remarquer qu’au commencement du Chafa, Ibn Sina déclare lui-même que celui qui veut connaître sa vraie doctrine doit lire son Livre de la philosophie orientale. Cet ouvrage, qui enseignait probablement le panthéisme oriental, ne nous est pas parvenu et l’on est obligé de s’en tenir aux écrits péripatéticiens que nous possédons. Dans son Ach-Chafa Avicenne divise la science en trois parties :

1° la science supérieure ou métaphysique, science des choses qui ne sont pas arrachées à la matière;

 

2° la science inférieure ou la connaissances des choses qui sont dans la matière; c’est la physique;

 

3° la science moyenne dont les différentes branches sont en rapport tantôt avec la métaphysique, tantôt avec la physique; ce sont les sciences mathématiques.

Nous allons essayer d’exposer le système philosophique d’Avicenne en nous aidant surtout d’une étude fort bien faite de Mehren, publiée par le Muséon de Louvain.

 

Le point extrême auquel la pensée puisse s’élever, après avoir parcouru toute la série de la causalité, est celle de l’Être absolument nécessaire dont le contraire est le Possible. L’absolument Nécessaire est ce qui, supposé comme non existant, serait nécessairement inconcevable, tandis que le Possible est ce qui se peut également bien concevoir comme existant et comme non existant. Il faut distinguer dans le Possible ce qui est possible seulement, c. -à-d. les choses sublunaires, qui naissent et qui périssent, et ce qui est possible par soi-même, ce qui n’est pas sujet à la naissance et à la destruction, comme les sphères et les intelligences. Quant à ce qui est nécessaire par soi-même, c’est la première cause ou l’Absolu. L’Absolu perçoit par soi-même son propre être ; il s’ensuit qu’il est en même temps le Pensant, le Pensé, et le Mouvement du Pensant au Pensé ou la Pensée. Il est toujours son propre sujet-objet, le Bien, le Vrai, et le Beau absolu, l’Amour et la Jouissance éternels; de plus, il est le Tout-Vivant, le Tout-Voulant, le Tout-Puissant, et l’Omniscient, sans que tout cela puisse être considéré comme des attributs résidant en  « quelque chose », car, si l’on pouvait les considérer comme tels, son essence s’anéantirait en se décomposant en une pluralité. Ce ne sont là que des relations, des qualités négatives qui n’emportent aucune idée de pluralité.